Prédictions médicales basées sur l’IA et l’apprentissage automatique

Les modèles mathématiques sophistiqués capables de prédire si un individu souffre ou va souffrir d’une maladie donnée se multiplient actuellement comme des champignons, souvent assortis des termes à la mode que sont l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique (machine learning).

Il existe ainsi par exemple des modèles pour diagnostiquer plus rapidement la spondylarthrite axiale ou pour prédire la survenue de lésions chez les sportifs (1, 2). Leur popularité augmente avec la disponibilité croissante de sources de données comme les dossiers patients (électroniques) ou les clichés d’imagerie complets tels que radios ou mammographies.

On entend souvent affirmer que les algorithmes reposant sur l’IA livrent de meilleures prédictions que les méthodes statistiques classiques. Les publications consacrées aux nouveaux modèles leur attribuent donc des prestations remarquables: ils seraient parfaitement capables de distinguer les personnes souffrant ou non d’une maladie, même lorsqu’ils sont appliqués à des données individuelles qui n’ont pas été utilisées pour développer leurs algorithmes. La réalité n’est toutefois pas si simple. Tout d’abord, il est rare de voir passer des publications dans lesquelles la validation s’est soldée par un échec, puisque cela suggérerait que le nouvel algorithme ne fonctionne pas. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure les validations rapportées sont effectivement fiables (3, 4).

Les défis sans lien avec les calculs mathématiques constituent toutefois un aspect plus important encore (5, 6). Un problème bien connu des grands ensembles de données est la qualité assez moyenne de ces dernières, qui va évidemment affecter celle des algorithmes qu’elles servent à développer. Les facteurs contextuels aussi ont une influence, puisque des centres et pays différents appliquent souvent des protocoles, du matériel ou des logiciels différents pour réaliser leurs mesures. Enfin, toute population de patients évolue au fil du temps, parce que les soins aussi changent en permanence.

Il est par conséquent essentiel que les algorithmes d’IA puissent être validés par des chercheurs indépendants (4, 7, 8). Il faudrait donc disposer de procédures pour mettre à disposition des algorithmes complexes, qui ne peuvent pas être résumés par une formule simple, de manière à ce que d’autres puissent les implémenter facilement et correctement. La recherche a toutefois démontré que c’est souvent impossible (9). En outre, les algorithmes sont souvent protégés en vue d’être proposés par des voies commerciales (4, 7, 8) – une réalité problématique, nonobstant l’argument que leur obtention, leur entretien et leur mise à disposition demandent également un effort financier. Il est difficilement défendable, d’un point de vue éthique, de devoir payer pour utiliser un algorithme sans avoir la possibilité de vérifier si ses prédictions tiennent la route dans la population à laquelle on se propose de l’appliquer… et c’est évidemment vrai a fortiori pour ceux qui ont été développés avec des moyens publics (par ex. le Fonds pour la Recherche Scientifique en Flandre). Le fait que les modèles d’IA soient souvent des dispositifs médicaux qui doivent obtenir une certification CE complique encore la situation. Cette procédure est en effet sensiblement plus facile à suivre pour une entité commerciale que pour une entité académique, et il serait sans doute bon que les instances régulatrices réfléchissent à des systèmes qui seraient à la portée des institutions de recherche.

Pour conclure, on peut affirmer que l’IA peut trouver des applications utiles dans le domaine de la médecine, mais que les nombreux défis qui subsistent n’offrent aucune garantie de succès (3, 4). En tout état de cause, il faudrait pouvoir disposer de procédures permettant de valider et d’adapter au maximum les algorithmes, éventuellement en combinaison avec une application commerciale si celle-ci est défendable (6). Si ce n’est pas le cas, les bénéfices de l’IA pour les patients et les soins de santé resteront limités.

Lire aussi : L'intelligence artificielle aussi efficace que le diagnostic des médecins ? Que retenir de la méta-analyse du Lancet 

  • Département Développement et Régénération, KU Leuven

    Département Biomedical Data Sciences, Leids Universitair Medisch Centrum, Pays-Bas

  • 1.   Walsh JA, Rozycki M, Yi E, Park Y. Application of machine learning in the diagnosis of axial spondyloarthritis. Curr Opin Rheumatol 2019;31:362-7.

    2.   Claudino JG, Capanema DO, de Souza TV, et al. Current approaches to the use of artificial intelligence for injury risk assessment and performance prediction in team sports: a systematic review. Sports Med Open 2019;5:28.

    3.   Christodoulou E, Ma J, Collins GS, et al. A systematic review shows no performance benefit of machine learning over logistic regression for clinical prediction modeling. J Clin Epidemiol 2019;110:12-22.

    4.   Topol EJ. High-performance medicine: the convergence of human and artificial intelligence. Nat Med 2019;25:44-56.

    5.   Challen R, Denny J, Pitt M, et al. Artificial intelligence, bias, and clinical safety. BMJ Qual Saf 2019;28:231-7.

    6.   Parikh RB, Obermeyer Z, Navathe AS. Regulation of predictive analytics in medicine. Science 2019;363:810-2.

    7.   Price WN. Big data and black-box medical algorithms. Science Transl Med 2018;10:aeeo5333.

    8.   Van Calster B, Wynants L, Timmerman D, Steyerberg EW, CollinsGS. Predictive analytics in health care: how can we know it works? J Am Med Inform Assoc 2019, in press.

    9.   Boulesteix AL, Janitza S, Hornung R, Probst P, Busen H, Hapfelmeier A. Making complex prediction rules applicable for readers: Current practice in random forest literature and recommendations. Biom J 2019;61:1314-28.

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