Pas si vite! (Dr J-E Vanderheyden)

Une «aventure» hospitalière récente, rapportée par un couple «choqué», m’amène à vous la partager pour «lancer» une réflexion sur divers dérapages dangereux inhérents à la médecine qui, dans sa pratique actuelle, va de plus en plus vite, sans même parler des téléconsultations!

Un soir de ce mois de juillet, Mme M. (58 ans, en bonne santé générale) signale à son époux des douleurs abdominales inhabituelles. Elle prend l’une ou l’autre médication à visée symptomatique, puis encore à 4h du matin car les douleurs s’accentuent! Au petit matin, vu la sévérité des douleurs, elle demande à son mari de la conduire d’emblée aux urgences d’un hôpital de la région de Charleroi. Bien qu’elle se torde de douleurs, il faut une grosse demi-heure, émaillée de plusieurs rappels par le mari, pour l’installer dans un «box» pour une anamnèse détaillée par le médecin de garde (on signale un antécédent de lithiase vésiculaire), un examen physique complet (qui constate l’aspect très douloureux de la partie supérieure de l’abdomen), une perfusion antalgique et une prise de sang. Deux heures après, le mari est étonné d’apprendre que comme la prise de sang est banale, ils peuvent rentrer chez eux avec un antalgique de seconde ligne et un rendez-vous programmé chez un gastro-entérologue de l’institution dans les 3 semaines. À la question «Ne ferait-on pas une imagerie? », la réponse cingle: «Comme la prise de sang est banale, la procédure est de ne pas aller plus loin!» Réflexion du mari: «… Mais elle se tord de douleurs!» Réponse: «Mais cela va mieux sous antalgiques!...». Rentrée à la maison, la situation reste problématique malgré les antalgiques, et la nuit suivante les douleurs s’accentuent à nouveau! Que faire? Visite chez le médecin traitant qui confirme la gravité et renvoie à l’hôpital… Où une nouvelle prise de sang montre une hyperleucocytose à 20.000 et une CRP passée de 9 (considérée comme banale la veille) à plus de 100… Un CT-scan abdominal montre une cholécystite en voie de perforation, et la patiente est opérée dans l’heure, sans complication… hormis le stress et l’impression d’avoir souffert beaucoup par manque d’attention!

Un jour de repos et le lendemain, dimanche matin: « Madame, tout va bien, vous pouvez sortir à midi!» «… Ah bon si vite?! Et mes cicatrices? Et la plaie assez béante du drain déjà retiré, cachée par une compresse?» «Voici une ordonnance d’antibiotiques et voyez votre infirmière au plus tard demain matin.» Donc, retour à domicile en cherchant le pharmacien de garde et en dérangeant l’infirmière dans son week-end… Finalement, la patiente guérira bien, mais garde un très mauvais souvenir de cette aventure!

Je me pose la question de savoir où va notre médecine (y compris la chirurgie) dans cette course au minimum de frais, au minimum de temps à l’hôpital… Le citoyen est-il heureux de cette évolution qui fait surtout plaisir à certains équilibres financiers, alors que lui il souffre! Ne prend-on pas des risques de dérapage dangereux, surtout avec un patient pas très méticuleux, peu compliant, voire un peu négligent, et peu réactif? Est-ce vraiment une bonne médecine que d’économiser un maximum avec des procédures strictes où l’humain n’est pas suffisamment pris en compte? Des plaintes caractérisées et sérieuses sont-elles beaucoup moins pertinentes qu’un résultat sanguin? Au point de ne pas en tenir compte dans les procédures aux urgences? Faut-il continuer dans le sens de cette rapidité de décision et d’action? Faudrait-il proposer des procédures plus complètes, tenant compte aussi de caractéristiques simplement cliniques? Trop technique et économique, oubliant des aspects cliniques parfois primordiaux, la médecine actuelle pourrait-elle perdre qualité et humanité?

Qu’en pensez-vous? N’hésitez pas à me répondre… Ce qui alimentera la rubrique du courrier les lecteurs!

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Derniers commentaires

  • Mireille SOEUR

    15 décembre 2020

    bravo
    mireille soeur

  • Charles KARIGER

    10 décembre 2020

    Cher Confrère,
    Vous décrivez là un exemple hélas banal du fonctionnement de l’ « industrimédecine » qui a d’ores et déjà commencé à remplacer la « médecine ».
    Petit à petit au cours des trente dernières années, d’innombrables « scores » ont commencé à remplacer ce que nos Aînés appelaient fièrement « le sens clinique ». Depuis une dizaine d’années, les « algorithmes » (Dico : « Ensemble des règles opératoires intervenant dans toute espèce de CALCUL. ») de diagnostic ont consolidé cette évolution.
    La « médecine fondée sur des preuves » est surtout une « médecine fondée SUR DES PREUVES STATISTIQUES », encore une fois sur des chiffres.
    Nos Aînés n’auraient jamais imaginé la naissance d’une discipline appelée ECONOMIE DE LA SANTE dont le sens premier est la « chasse aux coûts », au premier rang desquels, les EXAMENS INUTILES. Ceci signifiant « non indispensables selon les statistiques ». (Je n’ai jamais eu vent d’une exigence formelle de pratiquer TOUJOURS tel ou tel examen devant tel tableau clinique même si dans les prétoires résonnent les condamnations pour n’avoir pas fait TOUT ce qu’un médecin prudent et diligent etc…).
    Pas plus que la création de « procédures » appelées LIGNES DIRECTIVES (« guidelines » dans les régions anglophones) dont tout écart nécessite de lourdes justifications ou plus généralement entraîne le refus d’intervention de la sécurité dite sociale.
    Ces mêmes Aînés n’auraient pas cauchemardé la création de groupes commerciaux, immenses propriétaires de centaines d’établissements de soins qu’ils gèrent de manière industrielle ce qui exclut le « sur mesure ». Au contraire, c’est « taille unique » (« one size fit all »). Naturellement la moins chère y est la meilleure.
    Deux exemples parmi cent : « RAMSAY SANTE » (Fr) : « 7 millions de patients, 20 millions de consultations, 33500 naissances par an ; 161 cliniques et hôpitaux, 45 services d’urgence,… 36 établissements de santé mentale,… 36000 collaborateurs, 8600 praticiens ». Et aussi :« SYNLAB » (Be et autres) : « 40 pays à travers 4 continents / 20 000 collaborateurs / 500 millions de tests de laboratoire par an en Europe / 4000 paramètres analytiques (médecine de laboratoire humaine, vétérinaire, et environnemental) / Headquartered in Munich / Revenues of approximately Euro 1.9 BILLIONS in 2018 ».
    Capitalisme agressif ? Certes, mais nos socialos-syndicalo-consuméristo-chrétiens INAMIens procèdent de même. Et grâce à l’informatisation à la e-Health, le « plouc » de garde agit « bien » lorsqu’il suit les consignes. Les consignes de l’écran.
    « Bonjour ! Et il éteignit le réverbère. - Il n'y a rien à comprendre, dit l'allumeur. La consigne c'est la consigne. Bonjour. »
    Heureusement, St-Ex n’a rien vu de ce que nous commençons à vivre.